RUE FOUAD LE CAIRE 1937 |
Au
mois de février 2008, le bâtiment impressionnant des grands magasins Omar
Effendi au coin des rues Abdel-Aziz et Rouchdi est presque vide, attendant sa
restauration sous l'égide des nouveaux propriétaires Saoudiens, la société
commerciale Anwal. La succursale de la rue Adli a déjà subi un lifting, et
d'après l'hebdomadaire El-Ahram du 5 Février 2008, la chaîne Omar Effendi,
après des années de déclin, retrouverait ses beaux jours. Effectivement, une
certaine nostalgie pour les grands magasins d'antan, se fait déjà sentir parmi
l'élite résidentielle étrangère au Caire. Avant l'exode des années soixante, la
plupart de ces grands magasins appartenaient à des familles Juives: Cicurel
(d'Izmir), Chemla (de Tunis), Gategno, Hannaux, Adès, Benzion etc., exception
faite pour les Magasins Sednaoui et Davies Bryan, qui appartenaient à des
Chrétiens Syriens et des Gallois. L'histoire de Omar Effendi, autrefois mieux
connu sous le nom Ets. Orosdi-Back, commence en 1855, avec la fondation d'une
maison de vêtements prêt-à-porter à Istanbul, par Adolf Orosdi (antérieurement
Adolf Schnabel, la traduction en hongrois du mot 'bec'). Avant cela, il était
officier au service de Kossuth, le champion de liberté Hongrois déchu, et avait
trouvé refuge dans l'Empire Ottoman. La famille Orosdi fit à deux reprises des
mariages avec la famille Back commerciale, également juive et d'origine
austro-hongroise. Un quartet de Léon et Philippe Orosdi avec Hermann et Joseph
Back, établirent graduellement une chaîne de succursales à Bucarest, Plovdiv,
Salonique, Izmir, Adana, Samsun, Alep, Beyrouth, Bagdad, Basra, Tunis, Bizerte,
et pour des épisodes brèves à Tabriz, Téhéran, et plus tard à Casablanca et
Mekhnès. Depuis 1888, leur siège social était à Paris, d'ou ils dirigeaient des
agences d'achat dans plusieurs villes industrielles européennes (un enjeu que
nous trouvons aussi chez les magasins Chemla) et aussi au Japon. A Paris,
Hermann Back "de Surany" et Léon Orosdi, se convertirent au
catholicisme et marièrent leurs filles dans la haute bourgeoisie française.
OMAR EFFENDI |
En Egypte,
c'était non seulement le Caire et Alexandrie, mais aussi Port-Saïd, et des
succursales furent établies pendant un certain temps à Tanta et Zaqaziq. Le
directeur local Philippe Back, contribua à la construction de la synagogue Chaar
Hachamayim de la rue Adli, qui a dernièrement célébré son centenaire. Avant de
s'établir en Hongrie pour une carrière politique, il avait également patronné
des excavations importantes en Égypte.
Les
aspirations du Khédive Ismail de construire un "Paris sur le Nil" se
reflétaient dans la visibilité resplendissante des grand magasins, construits
dans le style architectural Parisien. La coupole du bâtiment Tiring (un des
premiers magasins austro-hongrois) sur la Place d'Ataba, et la 'cathédrale de consommation'
Sednaoui à la Place Khazindar toute proche, sont autant de pierres précieuses
posées sur la couronne Cairote à cette époque. Orosdi-Back, qui faisait surtout
du commerce en gros, se développait progressivement vers le commerce en détail.
En 1909, il ouvrit son établissement au quartier du Mouski, en y introduisant -
comme dans d'autres grands magasins - la pratique des prix fixes et les stocks
étalés avec accès libre. Il offrait à sa clientèle des 'Nouveautés' et des
'Articles de Paris', des produits de 'confection' européenne pour la marche,
pour les hommes, pour les enfants et les femmes, des vêtements prêts-à-porter,
alors encore très chers, des chapeaux pour femmes et des tarbouches pour hommes
qui deviennent des articles de premier rang.
OROSDI-BACK LE CAIRE |
En
fait, en 1899 Orosdi-Back devient la force mouvante pour la formation du
Syndicat des confectionneurs de tarbouches à Strakonitz (Tcheque), qui
approvisionnait la majorité du marché ottoman, l'Egypte inclus. Orosdi-Back
étaient aussi forts en bonneterie (les bas, les chaussettes, les
sous-vêtements), manufactures de technique tricot avancé. son établissement au
quartier du Mouski, en y introduisant - comme dans d'autres grands magasins -
la pratique des prix fixes et les stocks étalés avec accès libre. Il offrait à
sa clientèle des 'Nouveautés' et des 'Articles de Paris', des produits de
'confection' européenne pour la marche, pour les hommes, pour les enfants et
les femmes, des vêtements prêts-à-porter, alors encore très chers, des chapeaux
pour femmes et des tarbouches pour hommes qui deviennent des articles de
premier rang.
En
fait, en 1899 Orosdi-Back devient la force mouvante pour la formation du
Syndicat des confectionneurs de tarbouches à Strakonitz (Tcheque), qui
approvisionnait la majorité du marché ottoman, l'Egypte inclus. Orosdi-Back
étaient aussi forts en bonneterie (les bas, les chaussettes, les
sous-vêtements), manufactures de technique tricot avancé.
Plus
tard, vinrent s'ajouter les bottes, les chaussures, les cannes et les parasols
(assemblés en partie dans une usine à Istanbul). De même la quincaillerie,
articles de ménage, articles de voyage et ameublement, de faux bijoux modernes
qui vinrent briser les conventions traditionnelles des bijoux en or, des
instruments de musique européens et des gramophones. Le personnel dans les
grands magasins était en général plus élevé en nombre que celui dans
l'industrie naissante (quelques centaines par entreprise). Une bonne partie des
employés étaient des juifs et "de bonne famille". Plusieurs chefs de
rayon et employés supérieurs étaient des hommes, tandis que les clients étaient
servis par des vendeuses qui se devaient de parler quatre à cinq langues:
l'arabe, l'anglais, l'italien, parfois le grec et toujours le français."
En 1908,
Orodi-Back produisit les disques du fameux chanteur égyptien Yusuf
al-Minyalawi. Pendant la première décennie du 20e siècle, Orosdi-Back possédait
également une usine de montres à La Chaud de Fond en Suisse.
Le
Déclin
Un
certain déclin se fait déjà sentir pendant les années trente. Les succursales à
Tanta et à Zaqaziq sont forcées de fermer. Avec le nationalisme économique
croissant, surgissent de temps en temps des boycottages de marchandises
européennes, et les grands magasins authentiquement égyptiens font leur
apparence.
OMAR EFFENDI - OROSDI-BACK |
La
Révolution nassérienne enfin évinça l'élite étrangère résidentielle, neutralisa
sa propre bourgeoisie indigène, séquestra et nationalisa les grands magasins.
En réduisant sévèrement l'importation de marchandises, le régime des Officiers
Libres croyait jouer ainsi un rôle économique, pour le profit des grands
magasins nationalisés.
Les Egyptiens
- dans une démonstration de force juste avant l'accord final d'août 1958 -
acquirent Orosdi-Back. Dorénavant, les magasins adoptèrent exclusivement le nom
d'Omar Effendi. Ironiquement, c'était un retour à un ancien titre ottoman
effendi, qui avait été aboli par la Révolution. Mais, à l'insu des égyptiens
c'est aussi le nom antérieur du magasin qui avait été construit au quartier Eminönü
à Istanbul aux environs de 1907, et qui existe toujours au même emplacement.
La
nationalisation conduisit les grands magasins vers une médiocrité grise,
vendant des marchandises de basse qualité. Des plaintes s'élevèrent contre les
prix exagérés et les grands stocks restés invendus. Mais en dépit de la
nationalisation, les affaires se développèrent; Omar Effendi détient
aujourd'hui 82 magasins. Les années soixante-dix, années de l'Infitah et d'une
certaine libéralisation des importations, mêlaient une fois de plus les cartes.
Avec la mondialisation, des shopping malls furent construits au Caire
(récemment, un mall Carrefour à Ma`adi, copie du Carrefour français).
BENZION MUSTAFA KAMEL |
A
partir de 1996, le gouvernement égyptien s'est embarqué dans un programme de
privatisation de certaines sociétés, qui furent nationalisées dans le passé. La
vente d'Omar Effendi fut la première transaction d'un long processus. Un grand
débat eut lieu, non seulement sur le principe même de la privatisation, mais
aussi sur le prix de 'l'ancienne diva' qu'était Orosdi-Back. Ironiquement, des
critiques nationalistes trouvaient le prix trop bas (pour un bien que le
gouvernement avait lui-même obtenu pour un prix également trop bas). L'acheteur
saoudien, Anwal United Trading Co., acquit en 2006 la chaîne Omar Effendi, pour
le prix de LE 589.5m.. La chaîne représente de grandes marques de mode
françaises et internationales de consommation luxueuse, comme Etam, OshKosh,
Kookai, Jacadi et Bottega Verde. Les nouveaux propriétaires espèrent évidemment
vendre ces produits de luxe en Egypte aussi, et - sans le dire explicitement
'sur les bases d'un succès d'origine juive' - de ramener Omar Effendi à sa
belle notoriété d'antan.
©
Prof. Uri M. Kupferschmidt - Université de Haifa Publie au Bulletin 'Bnei
Ha-yeor' 2007, Israel.
Du même auteur: 'Who Needed
Department Stores in Egypt? From Orosdi-Back to Omar Effendi', Middle Eastern
Studies, vol. 43/2 (2007), pp. 175-192 ; et European Department Stores and
Middle Eastern Consumers, the Orosdi-Back Saga (Istanbul: Ottoman Bank and Archives
and Research Centre 20
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