Friday, November 25, 2011




Elles portent les noms de Khoch Qadam, El-Hammam,
El-Menagguedin, Ahmed El-Mahrouqui, El-Roum et El-Soukkaria
Les ruelles du Caire islamique
près de Bab Zouweïla
 
 
Par : Gérard Viaud
De nombreuses ruelles existent près de Bab Zouweïla au Caire. Elles sont mal connues, hormis par les habitants de ces quartiers dont ils ne connaissent pas l'histoire et toujours ignorées par les touristes. Elles portent les noms de Khoch Qadam, El-Hammam, El-Menagguedin, Ahmed El-Mahrouqui, El-Roum et El-Soukkaria.
La ruelle Khoch Qadam commence dans la partie sud de la rue Moëz Lidine Illah près de la mosquée d'El-Fakani, un monument de l'époque fatimide construit en 1148 et reconstruit en 1735. Une entrée de cette mosquée donne d'ailleurs sur la rue Khoch Qadam. Cette rue doit son nom à un sultan mamelouk du XVème siècle, El-Daher Seif Eddine Khochqadam, qui régna de 1461 à 1467. Le règne de ce sultan se situe dans une période très floue de l'histoire entre la mort du sultan Barsbaï en 1438 et l'avènement du grand sultan Qaïtbaï en 1468. Tous les sultans qui se succédèrent entre ces deux dates furent inconséquents et leurs règnes ne furent pas marqués d'événements importants.
Ce fut le cas du sultan Khochqadam. C'était un esclave d'origine grecque qui avait fait partie de la garde du sultan Barqouq, le fondateur de la dynastie mamelouke circassienne. Les autres esclaves le surnommaient Khochqadam le Grec et il aurait été ainsi le premier Grec à gouverner l'Egypte depuis l'époque byzantine.
Ce sultan eut à combattre les menaces ottomanes. Il voulut instituer des réformes commerciales et établir de nouvelles taxes, ce qui le rendit impopulaire. Bien que d'origine grecque, Khochqadam lança des mesures discriminatoires contre les Chrétiens et les Juifs et tous ceux qui n'étaient pas Musulmans durent démissionner de leurs postes dans les différentes administrations. Sans le nom de cette rue du Caire, ce sultan serait tombé dans l'oubli depuis longtemps.
Les gens du quartier donnent à ce nom de Khochqadam, écrit maintenant en deux mots Khoch et Qadam, en disant que ce nom serait celui de la cour du boiteux.
C'est dans cette rue de Khoch Qadam que se trouve la maison de Gamal Eddine El-Dahabi construite en 1637. Ce personnage était le chef de la corporation des commerçants de la ville du Caire. La superbe maison qu'il fit construire témoigne de sa richesse. Atfet El-Hammam, la ruelle du bain, commence dans la rue de Hoch El-Qadam dans le Caire fatimide.
Ces bains étaient, en général, composés de trois salles différentes. La première, appelée "maslakh", servait de vestiaire où les clients se déshabillaient. Une fontaine de marbre, alimentée par un jet d'eau, garnissait le milieu de cette salle qui était entourée d'estrades et de divans garnis de tapis et de coussins.
Une fois débarrassé de ses habits, le baigneur, enveloppé dans un grand pagne de coton, chaussé de sandales de bois, pénétrait dans la seconde salle. Là, l'air était saturé de vapeur d'eau à un degré élevé. Le baigneur était étendu sur une grande table de marbre où un garçon lui faisait un massage superficiel et il était alors conduit dans une troisième salle, la partie la plus chaude de cette installation de bains. Là, se trouvait un bassin rectangulaire dans lequel s'écoulait lentement de l'eau bouillante, alimentant le bassin et provoquant cette opaque buée provenant de la vapeur d'eau. Dans cette atmosphère, la transpiration était abondante. Le baigneur pouvait aller se plonger dans un bassin d'eau tiède ou froide. Ensuite, un masseur le prenait en main, armé d'un gantelet de poil de chameau qu'il passait sur tout le corps du patient, les articulations, les épaules, les bras, les jambes et les vertèbres, l'enduisant de savon et déversant sur lui des écuelles d'eau tiède. Le baigneur sortait tout revigoré de cette opération.
Une autre rue du Caire fatimide porte le nom de Hammam El-Masbagha, le bain de la teinturerie. Elle commence dans la grande artère de Moëz Lidine Illah entre l'ensemble d'El-Ghouri et la rue de Hoch El-Qadam. Il y avait en effet de nombreux teinturiers dans ce quartier. Il s'en trouve maintenant auprès de la mosquée d'El-Hakim près de la porte d'El-Foutouh. Dans la ruelle d'El-Hammam les boutiques des teinturiers avaient toutes des cours dans lesquelles ils étendaient les étoffes teintes sur les fils. Parfois ils installaient ces fils sur les terrasses des maisons.
La ruelle El-Menagguedin est celle des arçonniers et des matelassiers. Ces métiers n'ont pas changé de place depuis la fondation du Caire fatimide non loin de la porte de Zouweïla. Cette rue se trouve sur la droite de la rue Moëz Lidine Illah et commence presque en face du sébil-kouttab de Mohamed Ali construit en 1820. Elle est reconnaissable aux nombreuses balles et sacs de coton qui s'y trouvent.
Le métier de matelassier tenait une place importante dans la vie des Cairotes pour la fabrication des matelas des lits, des banquettes et des divans, ainsi que pour faire les nombreux coussins utilisés dans les maisons et les palais.

Après la construction de la porte de Zouweïla au XIème siècle par Badr El-Djamali, le quartier des matelassiers prit une place plus importante.
Selon l'historien cairote El-Maqrizi (1364-1443) le quartier des matelassiers et des arçonniers se trouvait derrière la prison du Caire qui fut, par la suite, remplacée par la mosquée du calife fatimide El-Moayyed qui avait fait le voeu de la construire lors de sa détention dans cette prison.
Toujours selon El-Maqrizi, il existait dans ce quartier une mosquée portant le nom de Sam Ibn Nouh (Sem fils de Noé), le père des peuples sémites.
De nos jours, cette rue, ainsi que les ruelles avoisinantes, sont bordées de boutiques qui vendent du coton qui est livré aux commerçants dans de grands sacs de jute.
Ce coton sert toujours à la fabrication des matelas pour les lits, les canapés et les coussins, éléments indispensables dans toutes les maisons égyptiennes. Mais les matelassiers, bien qu'ayant des ateliers, se rendent souvent dans les maisons pour exécuter leur travail. Quant aux arçonniers, ces artisans ont disparu de ce quartier. Autrefois, dans le Caire ancien, chaque corporation avait son quartier ou sa rue, et c'était le cas pour les menagguedin.
Atfet Ahmed El-Mahrouqui se trouve près de la rue El-Menagguedin non loin de la porte de Zouweïla à l'intérieur du Caire fatimide. Cette ruelle porte le nom d'un riche commerçant du Caire de la fin du XVIIIème et du début du XIXème siècles.
Ahmed El-Mahrouqui était le chef des commerçants de la ville du Caire. En 1798, il partit à la Mecque pour le grand pèlerinage. A son retour, il trouva les Français en Egypte. Bonaparte le chargea de fournir à l'armée française ce dont elle avait besoin et il fut nommé au divan constitué par le nouvel occupant de l'Egypte.
Après le départ des Français, Ahmed El-Mahrouqui se soumit au pouvoir ottoman et aux Mamelouks. Il devint un des grands hommes du pays. Sa maison était devenue un rendez-vous pour tous. Il fut le directeur de l'Hôtel des monnaies au Caire.
En cette période troublée, que vécut Ahmed El-Mahrouqui, il sut toujours se mettre du bon côté tant son sens politique et diplomatique était grand. Bien entendu, il subissait des contraintes. Il fut ainsi obligé d'équiper douze nouveaux officiers et leurs troupes : chevaux, fourrures, habits, bottes, or et argent. Pour le remercier, le pacha lui donna le fief de Farascour près de Damiette. Un jour, Ahmed El-Mahrouqui invita le pacha à déjeuner chez lui. Lorsque le pacha eut quitté sa maison, il lui envoya son fils Sayed Ahmed, chargé de présents pour le remercier d'avoir bien voulu venir en sa demeure: des étoffes d'Inde, des pierreries, des bijoux, des tapis de Perse et des chevaux équipés.
Ce même jour, c'était en 1804, Ahmed El-Mahrouqui passa la soirée chez lui lorsque tout à coup il eut des frissons. Au bout d'une heure, il rendit le dernier soupir.
Le lendemain matin, alors que le décès avait été gardé secret, son fils Sayed monta à la Citadelle prévenir le pacha. La nouvelle se répandit en ville.
Les funérailles d'Ahmed El-Mahrouqui furent célébrées avec une pompe digne de son rang, écrit Abdel Rahman El-Djabarti dans ses chroniques.

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